mardi, octobre 30, 2007

La vitre

"Point pour Baudelaire "d'objet plus profond, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouisssant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre...". Car le soleil dépouille, écrase l'univers. Sous le soleil nous sommes tous égaux et misérables, mauvais acteurs d'un drame dont nous ignorons le sens, jaugés, jugés par l'oeil lointain. Mais la vitre rassure. Elle met le monde sous glace. Elle transforme la réalité en un spectable, l'absurdité en une énigme, la platitude en une profondeur, et nous devenons nous-mêmes, derrière elle et par elle, des spectateurs, et donc des innocents. Transparente, elle empêche la splendeur, mais elle favorise cette concentration lumineuse qu'est l'éblouissement. Enfin, elle semble évider encore la profondeur et purifier la nuit, en cristallisant dans sa pâte glacée toute l'inquiétante et vague épaisseur autrefois éparse dans le tissu concret de l'ombre. [...] La vitre ne voile pas le gouffre, mais elle fait mieux : elle le signale et l'interdit. "

Dans Poésie et profondeur, de Jean-Pierre Richard