samedi, décembre 31, 2005

Désert

Un très bon ami m’a dit ce qu’il pensait du contenu de cet espace perso. Les doigts à l’air, il m’a modelée la forme exacte de sa pensée. Et la couleur n’était pas belle...

Ici, c’est un désert qui rêve de mirages, et moi, Eole, je souffle sur ses dunes pour en dissiper les rêves importuns et misérables ; les grains de sable, grossiers et imparfaits, volètent dans l’air, comme des insectes maladroits et éparpillés, et toujours je les fais chanter de leur crissement strident.

C’est la rage de vivre qui aurait du m’animer, et me faire inventer cet espace imaginaire ; mais non, c’est l’aridité de mon humeur qui assèche l’air. J’aurais du cracher dans les oasis de ce désert, et foutre le feu au décor du ciel bleu par le feu du soleil. Mais non, c’est bien pire. J’étais comme un lion, je rugissais, et je mordais, avec bruit et éclat. Maintenant, je suis comme un scorpion, rampant sous le sable, qui ne se manifeste que par son dard venimeux. Et moi, je pique, j’aime piquer par mes paroles ; c’est comme ça, ça me plait. J’ai toujours mordu, et mordu dans le vide, les dents claquant dans le Rien. J’ai aboyé, vitupéré, hurlé, crié, beuglé ; mais c’était de l’agitation inutile, qui aurait pu inciter au mépris. Maintenant, j’ai changé de rôle : je ne crache plus, je siffle ; je ne frappe plus aveuglément, j’étudie l’adversaire et je cherche son point faible pour appuyer une seule fois, et une fois définitive, où ça le ferait non plus mal, mais mourir.
Je me permets d’être horrible et méprisante ici. Et ironique, et cynique.
J’étais chaleureuse, je suis glacée. J’étais pleine de vie, et là, je m’étonne à peine de la froideur de mon cœur qui semble l’avoir empruntée à la mort.
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Mais ça, c’est un jeu. Je m’amuse avec tous ces mots, tous ces sentiments simulés, tous ces états contrôlés ; c’est de la stratégie, du calcul, destiné à me détourner de l’Ennui. Sous une couche de givre, mon cœur continue à battre, palpitant et ardent. Et j’aime toujours.
(Oh oui, j’aime toujours.) Je manipule un pantin qui joue avec le Vrai et le Faux. Je flirte avec l’imaginaire. Je me joue de moi.

Croyez-vous que j’allais agiter la clé de mon âme, ici, dans ce désert fréquenté par tous les abrutis du net, et prendre le risque qu’on pille mes temples enfouis dans le sable, qu’on brise le nez à mes sphinx, qu’on pisse dans mes oasis, et qu’on incendie mes palmiers ?

Mon espace perso, c’est une énigme susurrée par le vent. Qui sait écouter, comprendra le sens caché, car il en est un ! à tout ce jeu. Qui ne fera que juger, sentira le vent lui souffler dans les oreilles. Qui comprendra… oh, ça sert à rien. A rien, tout ça ! Personne ne le fera. Qui ne s’est jamais soucié d’un corps conservé et enveloppé dans des bandelettes, au milieu de trésors dorés et diamantés ? Qui n’a jamais compris la valeur inestimable de ce cadavre qui a jadis chanté, souffert, pleuré, et aimé ? Qui d’autre que moi pourrait s’amouracher de cette momie qui garde son profond secret dans le silence égyptien ; qui d’autre que moi pourrait regarder avec passion son tombeau, et se dire : « qu’il était beau ! », en frémissant ?

Moi, je n’offre ici que l’aridité du désert et le froid pénétrant de la nuit. J’en suis désolée. Si vous vous couchez sur le sable, prenez garde aux scorpions, aux serpents, et aux insectes nuisibles de ma terre. Une nuit, ils pourraient s’introduire au fond de vos oreilles, et…

Si vous me connaissez déjà, vous devez vous rappeler qu’à une époque, j’étais gaie et joyeuse. Je me posais déjà beaucoup trop de questions qui signalaient ma chute, puis ma terrifiante lucidité. Mais même si les choses m’apparaissent dans leur vérité visqueuse : sales, malsaines, absurdes, et horribles à s’en griffer les yeux, les jolis trésors que j’ai gardés au fond de moi n’ont pas perdu de leur beauté. Et mon affection n’a pas changé non plus, je vous assure…

Et pour les gens que je connais irl et qui me lisent, si un jour, vous devez me connaître, si vous désirez me connaître, ne vous appuyez surtout pas sur le décor malsain de ce lieu maudit. C’est mon terrain de jeu, et si vous croyez trop longtemps à sa véracité, vous vous matérialiserez dans le jeu, et deviendrez mes gibiers. Ce n’est pas vous que je chasse. C’est moi, moi, toujours moi que je traque ! C’est un jeu, une comédie, ce n’est pas VRAI ! Je ne suis pas une vieille fille folle et hystérique. C’est mon jeu, mon délire, mon terrain de chasse où je joue avec Moi ! Je me cherche, vous comprenez ? Je me recherche entre les lignes, tout le temps, toujours. Grâce à ce jeu diabolique, je me fais une « autre » pour me regarder, et pouvoir me juger.

…Voilà, tout est dit.

vendredi, décembre 30, 2005

Les volets clos

Je crois qu'un autre nom de blog n'aurait pas pu être plus approprié que celui-là. Dans toutes les situations, dans tous les instants, à chaque fois, à chaque moment, quel que soit mon moi, je suis à la fenêtre.

Et là, maintenant, pendant ces vacances de Noël, je me tiens à la fenêtre, et je regarde la griseur de la ville. Je me dis qu'il doit faire terriblement froid en voyant la neige, cet élément glacé et absurde pour lequel on s'émerveille bêatement, stupidement, sans rien voir des dégâts occasionnés. Une belle arnaque, cette neige, cette pellicule de Dieu, encore un autre présent qui descend du ciel.

Là, maintenant, je suis bien. Je me lève tôt, par choix, et non plus par obligation : ce n'est pas spécialement que j'aimais dormir avant, comme je le prétendais alors, mais c'était plutôt le fait que j'aimais dormir parce qu'on m'obligeait à me lever tôt et à ne plus dormir ; j'étais poussée à dormir par un sentiment de contradiction. Alors, maintenant que j'ai le choix, je me lève tôt pour être, là, maintenant.

Là, maintenant, c'est un réveil matinal, la rencontre fortuite entre le tendre soleil et moi, la douceur d'un chocolat chaud le matin, l'écoute d'une musique sans cesse renouvelée, la permission d'écrire, toujours, sans arrière-pensée, sans frein. Comme là, maintenant.

Et la journée est tout aussi monotone. Mes devoirs s'achèvent lentement, doucement ; je prends mon temps, je les fais sans précipitation, muée par aucune angoisse, ralentie par la paresse, tourmentée parfois par des promesses illusoires, mais au fond, ce n'est rien, puisque je les fais quand même, alors chaque jour a son utilité.

Je vis des journées en solitaire. J'ai droit à l'affection de mes parents, mais c'est un lot quotidien auquel je suis habituée depuis toujours : cet amour par obligation, né du sens même du mot "famille", se fond dans ma nappe d'isolement. Je suis bien, là. Ceux qui auraient voulu me parler pour sortir, et pour qui j'aurais du trouver des excuses, des prétextes pour refuser, je les ai bloqués. Ceux qui veulent me parler, je leur parle aussi ; mais je ne fais pas d'efforts pour maintenir une conversation : en fait, ils ne m'intéressent pas.

La seule chose que je peux encore désirer sont les contacts purs, sans contrainte, pour le plaisir. Par le terme de contacts purs, je parle des gens que je n'ai jamais vus, jamais fréquentés, avec qui l'entente se fait naturellement, nullement entiché par les contraintes de la réalité : l'amitié, si amitié il y a, se noue d'esprit à esprit ; rien d'autre n'intervient. Cela me plait, cela me suffit, je ne veux rien d'autre. Le reste me parait sale et même hypocrite parfois.

Là, maintenant, je suis bien. Parfois, un souvenir de maths m'effleure ; cette anecdote me contamine d'effroi et d'angoisse ; mais je souffle dessus, et elle disparait presque. Presque.

Mais sinon, là, maintenant, on peut dire que je suis bien.

mardi, décembre 27, 2005

Une anecdote...

Je m’accrochais de toute mon attention à la réalité. C’était un effort permanent que je ne devais pas relâcher, une bride que je devais serrer fortement, toujours. Mes yeux se plissèrent ; la réalité, qui s’arrêtait au tableau recouvert de chiffres et de majuscules, illustré du professeur qui s’agitait devant moi, m’était inconnue. Je ne la comprenais pas. J’avais beau me concentrer, les inscriptions à la craie blanche et les instructions du professeur valsaient.

« Tu as compris ? Tu sais ce qu’il fait faire et comment le faire ? » Me demandait-il avec espoir.

Je le regardais d’abord d’un air perplexe, puis fronçais les sourcils en fixant le tableau d’un air désespéré. Ensuite, je lui fis mon sourire le plus convaincant et acquiesçai, le temps de le convaincre et de le voir s’en aller à une autre table. Mais le sourire s’évanouit rapidement de ma figure, et je fus aux prises d’une angoisse insoutenable. Je la chassais vite, car je savais que si je la laissais prendre son contrôle sur moi, je n’arriverais pas à m’en sortir. Alors, prenant mon courage à deux mains, je recopiai l’équation, et griffonnai quelques tentatives que je savais maladroites. Je m’aperçus bien vite qu’elles étaient parfaitement erronées, mais l’irruption du professeur à ma table me paralysa et m’empêcha d’aller plus loin dans mes essais. Il tourna ma feuille dans sa direction, et marmonna :


« Alors, qu’est-ce qu’elle m’a fait ? »

Des âneries. Son regard me le confirma, et d’un air presque désespéré, me dit :

« Je ne comprends pas. Qu’est-ce que tu as voulu faire ? »

Je balbutiai pitoyablement quelques explications que je savais fausses, et il m’interrompit avec un profond soupir :

« Tu te noies ! »

J’avais peur qu’il s’énerve contre moi, mais ce fut pire. Avec une apparence trompeuse de calme et de patience, il me ré-expliqua la leçon, que j’oubliai d’écouter, figée dans l’angoisse grandissante de mes futurs échecs, et il termina avec la fatidique question :

« tu as compris ? »

J’avais envie de hurler. Un voile humide s’abattit sur mes yeux, et je battis vite, très vite, des cils pour qu’il ne s’en aperçoive pas. D’une toute petite voix, je l’assurai de ce qu’il espérait, et que visiblement il ne croyait pas. Il s’en alla heureusement, provisoirement, mais heureusement, et me laissa seule avec moi-même et ma feuille. Je me noyais, il avait raison, au milieu des chiffres, des lettres, des plus/moins l’infinie, des fractions, de tous ces hiéroglyphes qui dans leur exactitude gardaient une emprise certaine et reconnue sur la réalité objective de l’univers. Les sciences étaient une intelligence qui m’échappait, mais dont j’avais besoin au nom de la réussite, et au nom de la compréhension de ce fichu monde qui m’entourait. Je n’avais pas le droit de négliger la moindre de ces facettes, et là, là, actuellement, les mathématiques m’emplissaient d’une terreur insoutenable qui me rendait nauséeuse. Mes mains tremblaient, et j’avais une folle envie de pleurer. Lorsque le professeur revint me voir, j’eus le temps d’appliquer une expression stoïque à ma figure, mais la feuille n’avait pas été modifiée depuis la dernière fois qu’il était venu me voir.

« Je n’ai pas très bien compris, en fait, monsieur… »

Il me contemplait avec un drôle d’air, et je compris qu’il me prenait pour la pire des idiotes dans le stage de remise à niveau en maths pour les nuls.

« Ce n’est même pas que tu n’as pas très bien compris. Tu n’as rien compris du tout, voilà le cœur du problème ! »

Il inspira énergiquement, et il se remit, péniblement, laborieusement, et vainement à me ré-expliquer, pendant que moi, misérable être au QI limité, je sentais mon être flageoler face à ces exigences d’intelligence que jamais, à ma profonde détresse, au grand jamais, je ne pourrais atteindre…

lundi, décembre 26, 2005

Sous l'oeil du Grinch

Enfin ! Noël est passé.

Maintenant qu’il s’éloigne, je voudrais vous parler de cette horreur enguirlandée des couleurs rouge et verte de ma nausée. Je pourrais vous décrire, pendant une vingtaine de lignes inlassablement hargneuses, ce que vous connaissez déjà de vous-mêmes, mais pas de moi-même. Je pourrais vous entraîner dans cette ambiance cauchemardesque de gens pressés et suants dans l’artificielle chaleur étouffante des centres commerciaux, pressés d’en finir et d’être débarrassés du cadeau de l’autre, suants car pressés d’en avoir terminé avec ces présents dont ils se sentent obligés d’offrir, au nom de Noël, Noël, cette tradition esthétique et commerciale, avec son père Noël riant de bonhomie, et ses lutins verts sympathiques.

Noël, le rêve de tous ces petits enfants qui s’endorment en pensant aux rubans étincelants noués autour de leur cadeau enveloppé de ce papier doré qu’ils déchireront avec sauvagerie. Ils entendent déjà le bruit qu’ils feront de leurs petites mains féroces, et pressentent leur émerveillement ou leur déception face au présent découvert.


Ah, mais quel beau rêve, ce Noël, partagé également des sans abris dont le vœu le plus cher est de pouvoir savourer ce précieux instant au chaud, en compagnie de leurs proches.

Oh, le joli fantasme ! Même les vieilles personnes y pensent, et se souviennent de tous les Noël de naguère grâce à leur mémoire maudite. On est nostalgique, alors, on allume la télévision, et d’un air ému, on regarde les séries fantastiques qui passent pour nous, pour des gens qui sont seuls, le jour de Noël. On regarde ces absurdes comédies qui présentent des gens réunis et heureux autour d’une dinde, de foie gras, de caviar, et de champagnes. Ah ! Et quel Noël alors ! Il y a le sapin splendidement décoré d’anges et d’étoiles dans un coin, le piano pas très loin, et un papi attendrissant, de mignons enfants sur les genoux, chantant niaisement les cantiques ancestraux de Noël. Et si on ouvre la fenêtre, on voit que la ville s’est habillée pour l’occasion d’une robe éclatante de neige. Et tout le monde est heureux ; les chansons parfaitement hideuses sont reprises d’un chœur à l’autre de la ville, et tout va bien, car on se souhaite « Joyeux Noël » et on s’embrasse sur les deux joues, un verre de champagne à la main. On s’aime les uns les autres.

Parfois, cependant, on s’attriste, l’œil tordu de pitié, des gens qui ne peuvent fêter Noël à cause de leur solitude. C’est une curieuse délectation que de les plaindre ensuite et de les mettre dans le même lot que la petite fille aux allumettes, le père Fouettard, et le Grinch et son chien. Mais on y pense avec bon cœur, sans y voir la moindre once de répugnance que ce comportement pourrait avoir ; on boit pour eux, tchinn, santé.

Merry Chrismas, les amis, et à la vôtre !

(Oh zut, j’ai finalement parlé de Noël, alors que ce n’était vraiment pas le thème d’aujourd’hui. Tant pis.)


dimanche, décembre 25, 2005

L'explication, la mienne

Un espace personnalisé. Un espace personnel. C'est une chambre où l'air est mien, une antre aux trésors singuliers qui n'auront de sens que pour moi, un objet dont je pourrais en aveugle tâter les formes, la texture, le grain, et dont je verrais les couleurs dans mon coeur...

Mensonge. L'air est respiré par les autres, ces autres qui viendront ici, qui se demanderont ce que peut mijoter mon cerveau dans sa boite incongrue, avec cette vulgaire curiosité dont j'ai tellement besoin pour me sentir avoir de la valeur, pour me sentir exister, quitte à être considérée comme une personne malsaine et déséquilibrée, sous leurs regards répugnants, comme celui des bêtes posés sur nous qui nous mettent si mal à l'aise quand ils nous surprennent dans des moments terriblement embarrassants.

Mensonge. Je n'ai pas la personnalité des fous qui se délectaient de leurs trésors incompris ; je ne pourrais savourer les délices de cette incompréhension que je désire ardemment, sans l'avoir vraiment. C'est quelque chose que je n'aurais qu'en la suscitant à dessein, un cadeau qui n'a pas d'authenticité, et que tant d'autres ont si facilement, si involontairement ! L'incompréhension, c'est le propre des fous ou des génies... Quand on n'est ni l'un, ni l'autre, c'est un don truqué. Si vous ne comprenez pas, ne cherchez pas plus loin. Cela ne signifie guère que je suis inaccessible à vous, comme je le rêverais, mais que mon goût de la mise en scène est intervenu, que la comédie de l'Incompréhension a parfaitement été jouée, que je suis un bon bouffon.

Cet objet n'est pas dénaturé dans sa conception. Mais c'est un objet aux relents pervers ; c'est l'objet de ma faiblesse, qui obéit à ses commanditaires, qui obéit à sa fonction première pour un but lointain, auquel j'ai succombé, en vue de flatter mon égo.

Le concept d'espace perso a été crée pour encourager l'égocentrisme de l'humain afin de renforcer son individualisme. Des milliers d'individualisme sur des milliers d'espace perso. Savez-vous combien d'essais j'ai fait pour trouver un titre à mon espace perso ou un pseudonyme qui n'aient pas été utilisés ? Et pourtant, j'ai de la ressource. Des milliers de gens qui se croient être le nombril du monde, qui se croient importants, du moins assez pour raconter leur misérable petite vie, pour immortaliser leurs pensées médiocres ou prétentieuses à l'écrit, les fils d'une Toile que je déchirerais si j'en avais la possibilité.

Et ils se croient exister tous ces gens, voilà, c'est ça l'espace perso : Un désert aride où hurler "J'existe ! Regardez-moi ! ".