mardi, octobre 30, 2007

La vitre

"Point pour Baudelaire "d'objet plus profond, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouisssant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre...". Car le soleil dépouille, écrase l'univers. Sous le soleil nous sommes tous égaux et misérables, mauvais acteurs d'un drame dont nous ignorons le sens, jaugés, jugés par l'oeil lointain. Mais la vitre rassure. Elle met le monde sous glace. Elle transforme la réalité en un spectable, l'absurdité en une énigme, la platitude en une profondeur, et nous devenons nous-mêmes, derrière elle et par elle, des spectateurs, et donc des innocents. Transparente, elle empêche la splendeur, mais elle favorise cette concentration lumineuse qu'est l'éblouissement. Enfin, elle semble évider encore la profondeur et purifier la nuit, en cristallisant dans sa pâte glacée toute l'inquiétante et vague épaisseur autrefois éparse dans le tissu concret de l'ombre. [...] La vitre ne voile pas le gouffre, mais elle fait mieux : elle le signale et l'interdit. "

Dans Poésie et profondeur, de Jean-Pierre Richard

mardi, février 06, 2007

Chimères

I-
Il n’y avait rien de changé. Le cœur était toujours là, caché au creux de l’univers moite et rose du sein fragile. Au gré des exhalations précipitées, la bouche s’ouvrait, puis se refermait. Les mains frôlaient le visage, le cœur, mais le toucher restait insensible. Les regards brillaient, mais le triste et le rire s’indifférenciaient. C’était une belle journée d’hiver, mais nous étions encore dans octobre, alors le printemps ne nous frôlait pas. Il s’en allait, s’emmêlait dans les jupes tournantes des filles, rejaillissait des sourires, mais nous laissait toujours durs comme des diamants. C’est-à-dire que nous collectionnons les pierreries les plus exotiques, mais nous les gardions pour nous lorsque les moments dorés revenaient. Et cela arrivait de temps en temps. De moins en moins, mais alors que nous perdions la foi, ils nous éblouissaient, et nous réentendions battre les cœurs de chacun. C’était souvent au ciel d’octobre, et nos diamants fondaient de nos yeux jusqu’à prendre la forme de phantasmes qui se baladaient un peu partout et s’emportaient selon des courants étrangers.


II-
Ciel d’octobre, nous rêvions à la chaleur diffuse sur les peaux brunes, à l’animalité qui éloigne des lignes des métropoles, des élans des rapaces, et du rire jaune du fonctionnaire. Ah jungles amazoniennes, tribus indigènes, insectes tropicaux, curiosités lointaines ; nous rêvions de bagages et de liberté, nous rêvions Sensations, du vent des voiles au saut du phoque, du panda rigolard aux déserts sahariens. Loin des Louis multiples, nous lui préférions la majesté khmère, et Versailles n’était qu’une esbroufe face au Taj Mahal ; Erigé pour l’amour d’une déesse mortelle, nous ne connaissions que les légendes des temps anciens, nous caressions des yeux le buste de l'égyptien. Amoureux ; c’est au bout du monde que nous cherchions l’Etoile de l’inhérent, abusif voyage, nous voyagions de contrées en contrées, les paumes en aumônes d’attendre de donner, et les bouches sur les cœurs, aspirer onirismes silencieux. Nous embarquions sur l’albatros, et nos bagages remplis de silence l’alourdissaient de non-dits, le faisaient pencher sur l’Humanité qui nous retrouve, que nous aimons... C’est pour toi Humanité que nous reviendrons chargés de merveilles émerveillantes, de fruits et d’espoirs, d’amour toujours dense, de langueur éternelle…


III-
De son étreinte passionnée, elle empoigne la cité tant aimée ; et d’être toujours rejetée, c’est au fond des abysses qu’elle emporte son secret. La pieuvre et l’Atlantide.

vendredi, janvier 12, 2007

Mousse

Scène matinale

Dans tes yeux hagards, le néant a pris la forme de ton visage. Jour après jour, il émerge un peu plus de cette profondeur bleutée, dévore les joues, lape les cernes. S’étend jusqu’à ton front, y raye les idées. Il t’accompagne quand le quotidien se présente à toi. Il reste là quand je me tiens près de toi. Ce matin est comme les autres. Face à ton reflet dans la glace, tu ne bouges plus, tu te connais enfin comme la nuit t’a révélé, nu et étendu dans le lit, inutile. Je te regarde, et je ne sais pas à quoi tu penses. Je te couvre le cou d’une serviette propre. Puis, je m’enduis les mains d’une mousse blanche, et doucement, je te tapote les joues. Tu ne réagis pas, tu me laisses faire. Alors, je continue sans rien dire. Quand j’ai fini, je me lave les mains de l’eau de l’évier. Comme tous les matins, tu restes encore indifférent au rasoir qui te frôle la peau et te parcoure le visage. C’est comme une barbe que l’Ennui rase… D’un gant propre, je t’essuie doucement le menton, et un peu de mousse tombe dans ma main. Je n’ose te toucher davantage, mais je te sais la peau aussi douce qu’un nouveau né. Et quand je te libère de ta serviette, tu ne te lèves pas tout de suite. Tu ne t’es pas encore réveillé, et tu te contemples toujours.


Je dis soudain : « Je vous trouve vraiment beau », et sans guetter ta réaction, je range mon service de barbier. Au tintement de la clochette accrochée à la porte, je te sais sorti, et déjà je ne peux plus penser à toi, je t’oublie ; Quelqu’un d’autre s’avance et s’installe sur le siège, une cliente qui attend, qu’un jour, un homme lui dise qu’elle est belle…