vendredi, janvier 12, 2007

Mousse

Scène matinale

Dans tes yeux hagards, le néant a pris la forme de ton visage. Jour après jour, il émerge un peu plus de cette profondeur bleutée, dévore les joues, lape les cernes. S’étend jusqu’à ton front, y raye les idées. Il t’accompagne quand le quotidien se présente à toi. Il reste là quand je me tiens près de toi. Ce matin est comme les autres. Face à ton reflet dans la glace, tu ne bouges plus, tu te connais enfin comme la nuit t’a révélé, nu et étendu dans le lit, inutile. Je te regarde, et je ne sais pas à quoi tu penses. Je te couvre le cou d’une serviette propre. Puis, je m’enduis les mains d’une mousse blanche, et doucement, je te tapote les joues. Tu ne réagis pas, tu me laisses faire. Alors, je continue sans rien dire. Quand j’ai fini, je me lave les mains de l’eau de l’évier. Comme tous les matins, tu restes encore indifférent au rasoir qui te frôle la peau et te parcoure le visage. C’est comme une barbe que l’Ennui rase… D’un gant propre, je t’essuie doucement le menton, et un peu de mousse tombe dans ma main. Je n’ose te toucher davantage, mais je te sais la peau aussi douce qu’un nouveau né. Et quand je te libère de ta serviette, tu ne te lèves pas tout de suite. Tu ne t’es pas encore réveillé, et tu te contemples toujours.


Je dis soudain : « Je vous trouve vraiment beau », et sans guetter ta réaction, je range mon service de barbier. Au tintement de la clochette accrochée à la porte, je te sais sorti, et déjà je ne peux plus penser à toi, je t’oublie ; Quelqu’un d’autre s’avance et s’installe sur le siège, une cliente qui attend, qu’un jour, un homme lui dise qu’elle est belle…