jeudi, janvier 05, 2006

Lâcheté

Quand j’étais petite, moi, j’avais mon plaisir. Infini.

Dans de l’eau savonnée magique, je trempais mon cercle de plastique rose, et en soufflant des bulles, je m’entraînais à être Eole. Son pouvoir influait à travers toute la pièce, et je trouvais ça très joli. Surface moirée de mille couleurs, coquettes et enchantantes, ces rêves voletaient distraitement pendant qu’Eole les faisait fuser du bout du cerceau rose, constellations comiques de l’eau merveilleuse. Eprise de la Beauté, je l’étais aussi de l’Ephémère ; mais chaque fois qu’elles éclataient dans un cloc ! savonné, je savais que ce n’était jamais d’elles-mêmes. Pour moi, elles seraient restées féeriques, sphères valsantes, reflets d’envols jamais oubliés... En fait, c’était l’Irrémédiable qui, profitant de leur fragilité éclatante, accomplissait ses méchants faits. De son aiguille rouge, il les perçait une par une, et je crois bien que c’était son plaisir ignoble. Et même si cela me brisait le cœur, pour lui, ce n’était apparemment jamais assez, car Monsieur l’Affreux a eu un jour l’idée de faire comme moi. Il s’est alors procuré de son eau visqueuse, et il s’est muni d’un instrument cerclé d’acier. Il a ensuite soufflé, soufflé ; mais il n’y avait qu’une bulle — énorme, obèse. C’était un monstre infâme qui était né d’une haleine ; une créature globuleuse, qui évoluait pataude et avec beaucoup de peine. Sur son passage, elle bousculait toute chose, et si on regardait bien, il se passait quelque chose d’étrange ; je crois qu’elle se chargeait peu à peu de l’annihiler pour qu’on ne s’aperçoive pas de ce qu’elle faisait. Oui — c’est horrible, mais je pense qu’elle dévorait. Que sa lente démarche ne s’expliquait que par la voracité de son appétit. D’ailleurs, elle ne cesse de manger et de dévorer tout ce qui se trouve sur son passage, au nom de la croissance, de l’extension territoriale de son corps obèse, toujours, et encore, et éternellement. Cela peut paraître drôle et absurde, mais vous ririez moins si vous saviez toutes les choses qui se trouvent maintenant dans son ventre. Vous ne la voyiez pas ? Mais c’est qu’elle vous a eu. Le monde continue à tourner ? Mais c’est que ses rondes et ses mouvements ne sont que bercés par une houle stomatique. Mais oui, c’est ça… Mes pauvres amis, elle nous a avalés ensemble. Et pauvre folle, je suis la seule à le savoir ! C’est bien là mon malheur, mon impuissance ! J’ai tenté de la percer avec mes pauvres compas, et ça ne marche pas. Elle est bien trop solide, bien trop vaste, adipeuse ; j’ai beau m’approcher pour crever sa chair, trouer sa peau, mais elle s’étend toujours plus loin.

Je perds donc espoir, je me résigne, mais Peter Pan dit encore non, même si Peter Pan a peur… C’est un très bel enfant, et je l’aime pour sa révolte entêtée, sa pureté, son insouciance. Sa cruauté. Il n’essaie jamais de comprendre, il est terriblement borné parfois, et tellement injuste ! A ses yeux, tout ce qui le déplait ne connaît pas d’excuses. Il dit non à ce qu’il n’aime pas, et il ne fait jamais de compromis ; les concessions, c’est une ruse d’adultes, pas la sienne. Il est entier. Je crois que jamais il ne pourra se soumettre.

Amis, je vais vous dire un secret. Il ne faudra cependant jamais le lui répéter ; il ne faudra cependant jamais le faire, parce qu’il pourrait glisser jusqu’à ses oreilles, et le pauvre ! il en serait tellement mortifié de honte qu’il se convaincrait de n’avoir jamais pleuré ; il me traiterait de menteuse et irait bouder dans son coin. Mon secret ? C’est cela ; Peter Pan, mon Peter Pan, l’intrépide qui ne tremble devant rien, a pleuré. Moi, je suis adulte, je ne pleure pas ; mais lui, il a versé des larmes abondantes, avec des sanglots et des soubresauts qui agitaient tout son petit corps ; et c’est alors que moi aussi, j’ai eu très peur. J’ai eu honte de ses larmes. Alors je suis passée très vite sans qu’il ne sache que je l’ai vu, et je suis partie. J’aurais du le prendre dans mes bras et le consoler en lui caressant les cheveux, mais je n’ai pas osé. Cette amertume dans la bouche, cette glace dans les yeux… est-ce Wendy qui s’adulte ?

lundi, janvier 02, 2006

L'amour d'un frère virtuel

C’est le deux janvier que je commence la nouvelle année, parce qu’il m’a fallu deux jours avant de me décider à revenir. Je voulais débuter cette année par un billet doux, qui vous toucherait dans votre facile vulnérabilité. Par superstition. Vous savez, je crois sincèrement que la première chose qu’on fait le premier jour de l’année influence tous les autres ; alors je me disais que les épisodes de cette nouvelle année dépendrait du premier billet, puisqu’ils sont tous tirés du vrai, du faux, du détourné, du trucage, du direct, de mes délires, de l’amer, du Grinch, et du vent, qui caractérisent mon monde. Je voulais bien commencer. J’ai donc longuement réfléchi à ce que j’allais vous offrir. Un don personnel et gratuit. Je m’interrogeais sur le trésor que j’allais sacrifier, immoler, égorger sur l’autel de ma honte au sang hypocrite, qui se déverserait, au scalpel de ma prétendue générosité. Vulgaire que tout ceci, entièrement vulgaire ! Cela ressemblait à Noël, ce que je m’apprêtais à faire ; si j’avais agi ainsi, je me serais sentie horriblement mal, car je l’aurais fait par obligation. J’aurais mis en esclavage ce petit trésor, et piétiné mon estime personnelle… Hélas ! je suis si superstitieuse.

Au début, je voulais parler du jus d’orange pressé par maman. Mais j’ai vite renoncé, parce que vous n’auriez pas compris… Quand j’ai lu sa lettre à elle, la superstition m’a rattrapée. Son cœur est bon comme une orange, alors ce sera elle, ma biche, le trésor désertique de mes idoles aux yeux fardés.

« Offrez l’œuf, et l’oiseau reviendra à vous… »

Je voulais l’oiseau bleu, mais j’avais déjà l’oiseau rare. Tout a ainsi commencé : mon esprit volait au-delà des océans, dans un autre continent, sous un autre soleil, nullement encouragé par une recherche. C’est là que le Hasard intervient : un oiseau pépiait joyeusement, et Eole a été séduite par son chant rosé…

C’est sa complainte à elle que vous devez maintenant écouter, parce qu’en moi, il n’y a qu’elle qui sait dire ces choses-là…

« Suspends-toi à la branche de mon arbre dépouillé, et refleuris-le de tes notes joyeuses, mon bel volatile. Tu sais, tu me touches à chaque fois que je te lis. La générosité, on me l’avait enseignée ; elle avait pris la forme de ma mère, mais les gênes ne me l’ont jamais transmise. En toi seulement, je l’ai reconnue, la belle chose qui se développait sous la chaleur de notre amitié.

Sept heures nous séparent ; combien de nouvelles évaporées ? combien d’instants perdus ? quelle est l’étendue de notre ignorance de l’une par rapport à l’autre ? Oh, je n’éprouve pas le besoin que tu me comprennes, pas le désir de figurer au premier plan de ta vie, pas même l’envie que tu penses à moi. Et pourtant, je t’aime. Là réside sans doute ta magie, ma belle. Cette affection que je garde dans mon cœur pour toi. Il me suffit de savoir que tu vas bien, et je continue ma vie, parce que je sais qu’il n’y a nul besoin d’entretien à l’estime que j’ai de toi. Tu es une amie en or, parce que tu ne rouilles pas, parce que je n’ai pas besoin de frotter, avec un hideux chiffon, pour que notre amitié étincelle, il n’y a pas de lumière pour son éclat, la valeur ne se calcule pas, elle est innée.

J’ai la chance de te connaître, toi qui nous dessines des silhouettes échappées du néant ; d’où les tires-tu d’ailleurs ? Je te soupçonne de les cueillir dans un pays bienheureux où on s’aime pour de vrai, pour de bon, où l’espoir claironne ; un pays qui te ressemble. Ces personnages, il te suffit de les chatouiller de tes plumes roses, et ils se mettent à respirer, c’est magique !

Je ne t’aime pas en égoïste ; je sais que tu appartiens à un tas d’autres gens qui partagent tous mon amour pour toi. Te rappelles-tu d’un rêve d’encre et de papier qui s’est envolé par la voie postale jusqu’en France ? Je ne l’oublierai jamais ; il me revient toujours avec un sourire. C’est vieux de deux ans, mais tu sais comme en deux ans, on peut vieillir. Les rides apparaissent un jour au coin du cœur, et on n’ose fouiller dans nos pensées pour leur trouver des cheveux gris. Ce souvenir me rajeunit. Si, si, je suis vieille ; j’ai déjà les soucis d’un adulte, mais je me comporte comme un gosse. Peter Pan ne me quitte pas. Il y a des gens à qui je parle bien plus qu’à toi, mon amie, mais ce sont tous des Peter Pan comme moi. Si à nous tous, nous parvenions à arracher des flots notre île imaginaire, nous vivrions tous en Robinson Crusoé, tu sais. C’est de l’amitié d’égoïstes, tout ça. Mais j’y tiens beaucoup, parce qu’ils m’apportent ce que tu ne peux m’offrir : de la compréhension tirée d’une même expérience d’adultes prématurés. Ma lucidité m’élève directement au rang d’adulte, bien que légalement je n’ai pas encore atteint l’âge de voter. Je n’ai jamais été adolescente. J’aurais pourtant aimé connaître l’âge de folie, mais ça ne m’est pas accessible… Peter Pan reste dans mon cœur…

Tu es un bel oiseau, ma Josy ; élève-toi toujours plus haut dans les cieux, dore-toi au Soleil, mais ne te laisse par alourdir par des gens qui voudraient se laisser porter sur tes ailes. A cause de leur poids, ne vacille pas dans ton vol. Décharge les sur le sol, même si c’est dur et que tu les aimes, ils n’ont pas le droit de t’arracher les plumes pour leur belle collection, ils n’ont pas le droit de t’enfermer dans une cage aux barreaux dorés. Garde ta liberté ! Oui, reste libre.

Je connais ta naïveté, je la vis aussi quand je suis en confiance. Je connais ta fragilité, à ma façon, je le suis aussi… Mais je connais aussi ta force, et ton courage, celui-là même qui te fait sourire malgré tes envies de pleurer parfois ; je suis sûre de ne pas me tromper, oui, tu es telle que je le décris, et tu peux rougir comme un rouge-gorge ; je serai flattée que mes paroles te fassent autant d’effet que le vin.

Tu m’avais souhaitée les vœux que je voudrais pour cette année. Je prends le risque d’écrire ce que je désire, ici. Ce désert est à moi ; les vœux ne s’en échappent que pour se réaliser. Je suis superstitieuse. Cela ne marche qu’uniquement si on y croit, et à nous deux, ça ne peut que fonctionner. Je voudrais que notre amitié, légère et sans contrainte, pétrie par l’habitude, se garde d’elle-même si nous relâchons les liens, jusqu’à… jusqu’à ce que les océans, les frontières, et les lieux se raccourcissent pour nous, jusqu’à ce qu’un même soleil brille pour nous deux… je voudrais que tu sois mon étoile filante, comme dans la chanson. A Paris, nous nous assiérons dans un café, et nos vies se raconteront d’elles-mêmes, depuis le début, et sans ces intempestives interruptions virtuelles que sont les bugs ; je m’enthousiasmerai de ton look fantaisiste ; et on se parlera parfois en même temps parce qu’on aura des tas de choses à se dire…

Mon cher jumeau, tu es la touche d’espérance dans mon désert, mon étoile filante dans le vide du ciel noir, mon petit prince. Je me fais Renard. Mais passée cette retrouvaille (oui, retrouvaille…), tu retourneras sur ta planète pour une Rose que je ne connais même pas… La Rose du Québec.

Ne te sens pas responsable de moi, après avoir lu ce mot. Ne te mets pas en devoir de mettre plus de soin à notre amitié. Pas besoin ; l’essentiel est invisible aux yeux. Si les hommes oublient cette vérité, toi, tu ne dois l’oublier. Notre amitié se sauvegarde. »

A partir de quelle ligne ma voix s’est-elle mêlée à celle d’Eole ? Sommes-nous une au fond ? Je l’ignore, mais je sais que je t’aime beaucoup, Josy. Josy, Emjie, Marie-Josée, ou Perceval, c’est du pareil au même pour moi. Ma lettre n’est pas aussi belle que la tienne, mes mots sont maladroits quand ils deviennent vrais, quand ils sont sincères et destinés à être lus par des yeux existants…